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Pour le #RDVAncestral de novembre, je rencontre mes ancêtres des Mauges pendant la révolution industrielle du textile choletais.

 

septembre 1854

Par une belle journée de l'automne 1854, me voilà déboulant par surprise au beau milieu d'un bourg environné de bocages, un paysage qui me semblait si différent de ceux que je traverse habituellement. Un peu hagarde, je cherchais à savoir où je me trouvais. J'imaginais bien que je pouvais être arrivée là, sans crier gare, dans un village de mes ancêtres. J'observai alors les ruelles et les maisons. Je m'approchai de l'une d'elles, semblable à beaucoup d'autres ici, à demi-enfoncée dans le sol et je jetai un œil par la fenêtre ouverte au raz du sol, côtoyant un petit escalier de quelques marches seulement qui accède à la porte de l'habitation. Au travers de la petite fenêtre de la cave, j'aperçus, tout près, un homme courbé devant un métier à tisser placé sur le sol battu juste devant la petite fenêtre. Cette lucarne était la seule source de lumière qui éclairait tout juste le métier et laissait dans la pénombre le reste de la pièce aux murs suintant d'humidité. L'homme absorbé par son travail n'avait pas prêté attention à moi, tellement habitué sans doute aux ombres pressées de la rue.
Je me souvins alors de mes lectures qui expliquaient que ces pauvres tisserands souffraient de rhumatismes, de problèmes circulatoires, de mal de dos ou autres problèmes dus aux gestes répétitifs, à la mauvaise posture et à l'absence de lumière. Certains devenaient aveugles à force de travailler dans la pénombre et de devoir fixer en permanence leur tissage.1
 
Sans le savoir, j'étais probablement arrivée à La Tourlandry le village de mes ancêtres.
 

Paul Sérusier [Public domain], via Wikimedia Commons

En me redressant, j'aperçus quelques maçons au bout du village occupés à la réparation d'une maison. Aussitôt, je me dirigeai vers eux pour les questionner, leur demander s'ils connaissaient un maçon nommé Louis-François Sortant. L'un d'eux, peut-être Pierre Duret le futur beau-père de Rosalie, la seconde fille de Louis-François, me répondit en me désignant celui qui travaillait de l'autre côté du bâtiment.

Je ne voulus pas le déranger dans son travail et attendit qu'il l'ait terminé avant de l'aborder. Je m'approchai; je lui trouvai un je ne sais quoi, comme un air de famille. Là, je lui expliquai que je cherchais quelques renseignements sur sa famille car je descendais des Sortant, en évitant pour l'instant de lui dévoiler que j'étais une lointaine descendante.

- Alors vous êtes peut-être une de mes petite-cousines que je ne connais pas puisque nous avons toujours vécu éloigné du reste de la famille?

- C'est très difficile de vous expliquer, répondis-je, sans plus de précisions. J'ai étudié votre arbre et je sais que vous avez deux filles aînées et trois garçons dont le dernier est tout petit et votre épouse s'appelle Perrine.

- Vous avez raison. Si vous l'acceptez, je vous invite à passer à La Fardellerie dans la soirée. Nous pourrons parler un peu plus.

- Bien volontiers. A ce soir.

Je me demandais, en m'éloignant, ce qu'il avait pu imaginer. Oserai-je lui dire que je suis en fait une de ses arrière-arrière-petite-filles?

En attendant, je me mis en tête d'explorer le village et ses alentours ; je cherchai La Boutière, la maison de famille des Cassin, où était né les enfants de Marie Augustine, neveux et nièces de Louis-François, que je trouvai à un peu plus d'un km du bourg. Elle était l'unique sœur de Louis-François, décédée depuis onze ans déjà, deux ans seulement après le décès de leur frère Jean-Édouard, mort à l'île Bourbon alors qu'il était engagé dans l'armée royale quelques années avant l'abolition de l'esclavage.
 
Ici, je découvrais les bocages et les petits chemins creux où avait dû se cacher le père de Louis-François pendant les guerres vendéennes, puis j'aperçus à quelques kilomètres de là, une colline, celle du Puy de la Garde, un des points les plus élevés de l'Anjou, qui fut aussi un terrain de bataille des guerres vendéennes parcourus par mon ancêtre Louis-Stanislas. Le village de la Boutière se tenait là, au pied de cette colline bordée d'un ruisseau glissant doucement jusqu'à l'Èvre vers le Sud. C'était là que vivait Marie Augustine, la soeur de Louis-François, avec sa famille.
 
 
Enfin, je repris le chemin vers le bourg en flânant encore un peu. L'après-midi s'avançait déjà, je croisais des voitures arrivant de Cholet, sans doute des marchands qui venaient négocier le travail de quelque tisserand parmi les très nombreux habitants du village. Vincent Cassin, le mari de Marie-Augustine1 l'était devenu après avoir travailler comme tisserand, mais il semble qu'il ait abandonné ce métier pour devenir voiturier. A cette époque, les paysans y pratiquaient les cultures destinées à fournir l'industrie textile naissante pour laquelle ils transportaient leurs lins, leurs fils mais aussi leurs bœufs à l'occasion des marchés de Cholet. Les bourgeois de la ville, eux, étaient devenus les nouveaux maîtres du bocage comme les Seigneurs auparavant. Bon nombre d'habitants de la Tourlandry quittaient ce métier difficile qui fluctuait en fonction des événements d'alors qui influaient beaucoup sur le commerce de la toile choletaise. Louis-François avait aussi pratiqué ce métier dans sa jeunesse et avant la naissance de ses enfants.
Remplie de toutes ces pensées, je ne me rendis même pas compte que j'avais traversé le bourg et que que je me dirigeai à l'opposé de mon point de départ. Je demandai à une passante où je pouvais trouver La Fardellerie. Par chance, j'étais sur le bon chemin.
Photo personnelle
 
Le soleil commençait à descendre dans le ciel et éclairait encore les arbres du chemin, tout colorés de rouge et d'or. L'automne était beau, mais l'air se rafraîchissait nettement de jour en jour. Bientôt, on aurait cru qu'un incendie s'allumait dans le bois, puis doucement l'ombre lui succéda. Un frisson me parcourut alors je remontai le col de mon manteau. Je pressai le pas de peur que la nuit ne tombe avant d'arriver à destination.
J'approchai du village de la Fardellerie; des fenêtres s'allumaient qui semblaient me guider. J'accélérai le pas car désormais la nuit tombait vraiment et j'avais froid. Mais le chemin me parut encore long! J'espérai enfin trouver la maison de Louis-François et sa famille. Je frappai à la porte d'une petite maison mais personne ne semblait entendre! Inquiète, je recommençai en espérant qu'on m'ouvre.
Je ressentis un grand soulagement quand, enfin Perrine m'ouvrit la porte de la maison. Je remarquai tout de suite la belle flambée dans la cheminée ; elle m'invita à m'y réchauffer. Quelques bougies éclairaient le reste de la pièce.
Toute la famille était assise sur des bancs non loin du foyer. Louis François me présenta ses enfants, Marie Perrine, l'aînée âgée de 14 ans puis Rosalie, la seconde de 3 ans plus jeune qu'elle. Victor-Louis, le suivant, 8 ans, vint me serrer la main. Le benjamin, de quelques mois seulement, dormait paisiblement dans son berceau. Michel, le cadet, tout juste âgé de 5 ans, me regardait étrangement. J'éprouvai un sentiment bizarre en pensant qu'un jour, il deviendrait mon arrière grand-père. Avait-il quelqu'intuition?
Un panier de noix de l'année passée attira ma gourmandise. Celles de l'année étaient tout juste cueillies et la récolte avait été bonne. Une bonne tartine de beurre accompagna la dégustation. Je les en remerciai.
Les questions fusèrent traduisant l'étonnement de cette intrusion d'une lointaine parente! J'étais un peu embarrassée mais je leur expliquai que j'avais étudié pas à pas la plupart des branches de l’arbre de la famille jusqu'aux plus lointains cousins, que je voulais mieux comprendre leur vie et celle des habitants des Mauges de cette époque. Je leur racontai ma balade de la journée et Louis-François se mit à parler de ses regrettés frère et sœur, que la vie pour lui n'avait pas été simple mais que son grand bonheur était les années passées avec sa grand-mère Magdeleine arrivée à La Fardellerie quelques années après le décès de leur mère. Lui-même n'avait que 7 ans quand il a perdu sa mère, son frère en avait 6 et sa sœur 10 ans. Elle fut, elle aussi, une «petite mère» pour ses frères.
A ce moment, Perrine appela, pour le coucher, ses enfants qui nous saluèrent en grimpant l'échelle qui conduit au-dessus de la pièce principale; les plus grandes suivirent après avoir exécuté les tâches de la maison tout en écoutant leur père. Avaient-elles déjà entendu toutes ces choses de la part de leur père, elles qui n'avaient jamais connu ni leur tante ni leur oncle? Et savaient-elles de quel pays était venue leur arrière-grand-mère? Connaissaient-elles l'histoire de leur étonnant grand-père, Louis-Stanislas?
A mon tour, je racontai, un peu honteuse de ma curiosité, que j'avais vu dans le village un tisserand à l'ouvrage dans sa cave et je demandai à Louis-François pourquoi lui, n'était plus tisserand depuis qu'il avait repris le métier de maçon qui s'était transmis dans la famille. Louis-François se justifia de cet abandon au nom de tant de raisons qu'il ne tenait pas à l'expliquer en détail, seulement que le métier de maçon, s'il est fatigant, l'est tellement moins que celui de tisserand et le maçon ressent une immense fierté quand il voit l’œuvre réalisée de ses mains. Le tisserand se fatigue beaucoup, toujours dans la même position à journée entière; il s'use la santé et connaît la misère et la peine, parfois même la faim, tant était mal payé ce travail à domicile d'une bonne dizaine d'heures par jour à tisser les calicots. Le pauvre tisserand des bourgs environnants devaient se rendre à Cholet pour venir chercher de quoi faire son ouvrage et puis pour recevoir son salaire. Les ouvriers choletais de l'industrie naissante avait bien plus de chance : en 1834, on avait créé une caisse d'épargne pour l'ouvrier prévoyant une retraite … et déjà, un peu plus tôt, pour les tisserandes, une salle d'asile avait été ouverte pour la garde des enfants à laquelle se dévouaient «les dames de Cholet». Quelques années auparavant, on avait même commencé à éclairer au gaz et apporté un service d'eau dans la ville de Cholet. Les tisserands de la ville profitaient de tout cela tandis que les tisserands de la campagne étaient souvent obligés de faire travailler toute la famille pour bien peu de gain. Seul un petit jardin pouvait apporter la nourriture, à condition qu'une personne de la famille, au moins, puisse l'entretenir.
Louis-François avoua que son métier de maçon ne lui apportait guère plus, mais il pouvait le compléter par un travail de journalier en cas de nécessité. Et il ajouta que ses fils seraient aussi maçons! Il ne pouvait pas imaginer, évidemment, qu'un seul des deux serait maçon mais qu'ils pratiqueraient de nombreux métiers et très différents les un des autres.
Tout à coup, il se mit à rire en pensant à ce que disaient les curés à propos des tisserands et ouvriers choletais: que cette nouvelle façon de vivre «pervertissaient les cœurs», «ébranlaient sinon les croyances, les pratiques catholiques» alors que les bourgeois eux «se vantaient de chasser l'oisiveté … ayant donné du travail aux plus mauvaises natures» et faisant disparaître «leurs instincts les plus pervers»2.
   
- Lesquels pensez-vous qui aient raison? me demanda-t-il en souriant.
   
Louis-François, je le soupçonne, avait suivi la tradition religieuse de sa famille et croyait que les curés se trompaient.
Je ne répondis rien, mais, à ce moment, je pensais à la vie de ses enfants qui allaient tellement changer et devenir plus difficile encore! Les milieux qu'ils fréquenteraient et les influenceraient feraient que les prédictions des curés allaient quelque peu se réaliser et que celles des bourgeois étaient sans doute trop optimistes du fait de la dureté du travail ou de son absence entraînant la misère sociale, mais aussi morale dans certains cas. Les difficultés atteindraient ses enfants, que  certains d'entre eux dépasseraient et que pour d'autres, elles poursuivraient jusqu'à leurs propres enfants en laissant même quelquefois peser de lourds secrets sur les générations suivantes. Mais ça, je ne peux évidemment pas le dire à Louis-François. Alors, je le regardai en lui rendant son sourire.
 
Le feu s'éteignait peu à peu alors que la maisonnée s'était presque endormie.

à suivre ...

 

*Je dédie ce texte à Isabelle une lointaine cousine qui m'a contactée tout récemment sur Facebook. Notre premier ancêtre commun se trouve être Louis Stanislas, le père de Louis-François. Le plus étonnant dans cela, c'est que ce #RDVAncestral, je l'ai commencé plusieurs jours auparavant. Du coup, j'ai choisi d'y inclure une partie sur son ancêtre Marie Augustine qui n'est autre que la soeur de Louis-François.
 
 

 

 
 
Sources :
 
- Actes d'état civil de la famille aux AD 49
- Livre "Histoire de Cholet" Tome II A. Gelusseau 1862
- Article du Courrier de l'Ouest du 15/01/1917 L'histoire des tisserands "à la main" d'Angers
1Courrier de l'Ouest du 15/01/1917
2 citations extraites du livre «Histoire de Cholet»

 

 

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Tag(s) : #RDVAncestral, #Généalogie paternelle, #Les Mauges
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