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Pour ce numéro 11 du RDVAncestral, je me retrouve dans la désolation d'une foule  désordonnée et souffrante. Mais qu'est-ce donc cette bouleversante rencontre?

 

Tout à coup, j'entendis le roulement de chariots, sur la route, se rapprochant de moi. Puis de plus en plus proches, des râles et des gémissements comme des gens malades qui appellent à l'aide. J'en tremblais. Mais où étais-je tombée? Je me rendais à Craon et dans la tombée de la nuit, je ne reconnaissais rien! seulement dans la pénombre, la silhouette du moulin du Verger, le moulin de mes ancêtres Craonnais; et au fur à mesure que j'avançais, j'entendis cette fois les sabots de chevaux, et je distinguai alors la masse informe d'une foule. Je ne comprenais rien.
Dans le froid glacial, des gens à l'air fatigué, des femmes, des enfants, des hommes aussi, approchaient de moi, les uns avaient des mouchoirs sur leurs têtes, les autres des bonnets de laine, d'autres des chapeaux aux cocardes blanches. Certains portaient des armes, des sabres ou des fusils retenus derrière leurs épaules; quelques-uns avaient attaché à leur vêtement de tiretaine l'image du Sacré-Coeur. Beaucoup semblaient épuisés.
Je les avais reconnus : des vendéens qui de Craon allait prendre la route d'Ancenis! Et je me souvins tout ce que je savais sur la Virée de Galerne.

Jules Girardet [Public domain], via Wikimedia Commons

Ces gens qui marchaient, se traînaient en passant devant moi, dépenaillés, les vêtements sales, revenaient d'une virée qui devait gagner Granville et qui finalement battit retraite après avoir perdu des milliers d'hommes, de femmes et d'enfants dans cette aventure désastreuse. Ils arrivaient du Mans où l'horreur qu'ils avaient connue la veille et l'avant-veille, leur était impossible à dire. Je croisais des vieillards qui pouvaient à peine marcher, des enfants qui pleuraient, des hommes à cheval - probablement les chefs militaires - leurs chevaux maigres tenus "avec des brides et des étriers de cordes", et aussi des femmes qui paraissaient des notables même habillées en paysannes, vêtues de couvertures de laine, et qui s'étaient barbouillé les mains et la peau de suie ou de terre pour ainsi ne pas être reconnues. J'accostai quelques-uns en leur tendant quelques pains que j'avais avec moi. Tellement d'autres parmi eux me paraissaient souffrir, blessés ou atteints de maladies, étendus sur les chariots; certains mêmes voyaient approcher leur heure dernière. Je n'étais pas rassurée. Quels dangers pourrais-je courir en les approchant? Mais non; je réalisais alors que le pouvoir qui me faisait remonter le temps me protégerait. Comment quelqu'un, venu du futur, pouvait courir un risque quelconque, à moins qu'il n'use de son pouvoir de connaissance et manipule l'état des choses dans lequel il a réussi à se plonger?
À ce moment-là, mes pensées furent pour mes ancêtres dont je ne retrouve pas la trace! Étaient-ils morts dans les combats de cette virée ou bien avaient-ils été massacrés au Mans?
J'essayai alors de savoir auprès de ces hommes et ces femmes s'ils avaient, dans cette virée de Galerne, rencontrer un homme, mon ancêtre Philippe, et ses fils. Je leur expliquai qu'il avait été sellier, qu'un de ses fils avait les yeux roux, une barbe très noire et le teint foncé qu'il pouvait tenir de sa mère mulâtre, et peut-être ses frères aussi. Que pouvais-je ajouter? Qu'ils étaient originaires de Saint-Georges-sur-Loire. Pas un ne semblait les connaître. Mais la foule était si grande au départ de la virée de Galerne à Saint-Florent en octobre 1793 et désormais dans cette cohorte il semblait y avoir ici à peine 5000 personnes. Il est donc bien difficile d'y trouver un témoin ! Certains osaient quelques mots des horreurs vécues à la bataille du Mans, quand les soldats républicains «se répandaient dans les maisons, en retiraient les femmes et les filles, les emmenaient dans les places et dans les rues où elles étaient entassées et égorgées sur-le-champ1». Et après le massacre, «un morne silence interrompu par des cris de triomphe1» des républicains, «une boucherie épouvantable1
- «Toute la route du Mans, jusqu'à cinq ou six lieues de Laval était couverte de cadavres2» de nos compagnons. Même les paysans de la région ont «fait une battue générale dans les bois et dans les fermes2» ... ils en ont tué aussi beaucoup, se désola un des hommes à mes côtés.
- Peut-être votre parent était-il de ceux-là? Mais nous ne savons vous le dire!

Que d'horreurs ils avaient vécues! Que d'épreuves et de souffrances avaient encore subies les survivants! En ce 14 décembre 1793, ils n'aspiraient qu'à une chose «rentrer chez eux». Pourtant, moi qui savais ce qu'ils allaient à nouveau devoir supporter, je ne pouvais même pas les mettre en garde, je ne pouvais pas changer le déroulement de l'Histoire! Pourtant je le souhaitais si fort ! Je ne pouvais pas effacer la retraite vers la Loire! Les fusillés de Prinquiau, ou la bataille de Savenay, le sinistre Carrier et les noyades de Nantes!

Les noyades de Nantes

Original téléversé par Briséis sur Wikipedia luxembourgeois. Auteur Jean Duplessis-Bertaux (c. 1747-1820).  [Public domain], via Wikimedia Commons

 

 

1 selon Kléber, . Source : "Nouvelle histoire des guerres de Vendée" de Jean-Noël Brégeon et Gérard Guicheteau

NB : Kléber ainsi que Marceau, officiers de l'armée républicaine, "auront tenté sans succès de s'opposer à la folie meurtrière des Bleus" au Mans et à Savenay "et en resteront outrés".

2  selon Benaben. in "La Terreur en Anjou" Correspondance et journal de Benaben, commissaire civil du Maine-et-Loire auprès des armées républicaines Ed. Pays & Terroirs

 

rien

 

 

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Tag(s) : #RDVAncestral, #Guerres vendéennes
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