extrait du livret militaire
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Né en 1917, c'est en 1937 que mon père doit se présenter au bureau de recrutement d'Angers; il est alors inscrit au registre matricule sous le n° 774. Le 20 octobre 1937, il est incorporé au 106è RI.
A l'approche de la guerre, à peine un an après son appel sous les drapeaux, il est envoyé en garnison au Centre de Mobilisation Intérieure de Reims1.
La 12è division d'infanterie2 dont fait partie son régiment est alors mobilisée sur le front du nord sous les ordres du général Gaston Janssen et dès le 3 septembre 1939, elle se trouve au nord de Thionville et refoule à la frontière les troupes allemandes avancées jusque vers Kœnigsmacker aux abords de la ligne Maginot.
Relevée après un mois de combats, elle passe dans la réserve au grand quartier général dans la région d'Avesnes-sur-Helpe, à une centaine de kilomètres au Sud-Est de Lille.
Avant le 10 mai 1940, la 12è division est implantée dans la région de Saint-Quentin. C'est là que mon père apprend la disparition de son frère Edouard, quartier maître engagé dans la marine de guerre.
Ce 10 mai, la division reçoit l'ordre de passer la frontière belge et d'occuper le secteur de Gembloux près de Namur. Le lendemain, une partie de la troupe participera à des actions retardatrices en avant des positions défensives aux environs de Namur et deux autres prennent en soirée la direction de Charleroi l'une contournant vers l'Est et l'autre vers l'Ouest. Dans les jours qui suivent, ils subissent, de la part de l'aviation ennemie, de nombreuses attaques de plus en plus soutenues. "L'infanterie s'enterre ... et pose un barrage de mines anti-char" au-devant du front. Celle-ci est prête à combattre mais toutes les autres unités ne sont pas encore arrivées. Les nouvelles venues d'ailleurs sur le front sont inquiétantes, des échecs ou des replis sont annoncés.
Le 14 mai, déjà, des régiments se replient derrière les positions tenues par la 12è division qui résiste encore. Pourtant, le lendemain, des positions sont abandonnées subissant les nombreuses attaques de l'aviation allemandes. Après une destruction par le génie de nombreux ponts, les replis se poursuivent le 16 mai autour de Charleroi tandis que le 106è RI appuyé par le 3è GRDI s'oppose, en combat d'arrière-garde, aux infiltrations ennemies. De recul en recul, la 12è division prend position à hauteur de Bavay à environ 80 kms au sud, position qu'elle tiendra pendant trois jours. Les troupes se battent le jour et se déplacent la nuit, mais finalement, le 19 mai, la 12é division reçoit un nouvel ordre de repli vers l'ouest de Valenciennes. Après toute une nuit de marche, ils passent l'Escaut et se regroupent pour se rattacher au 3è Corps d'armée le lendemain.
Le 21 mai, la plus grande partie de la 12è division repart vers l'Est, à Bruay-en-Artois, à pied, tandis que le 106è RI en est détaché. Ces derniers doivent, dès le lendemain, remonter vers Lille pour tenir une position sur la frontière.
Repoussé vers Lille, le 106è RI va se joindre aux troupes commandées par le général Molinié qui établit son quartier général à Haubourdin, une commune au sud-ouest de la ville.
Avec 40000 soldats, ils se défendront pendant cinq jours, encerclés par les troupes allemandes. Le 31 mai, apprenant le plan d'attaque allemande, le général Molinié et ses officiers tentent d'organiser une sortie de l'encerclement, qui se montrera désastreuse. Les munitions épuisées, des centaines de morts civils et militaires, des blessés, les points de résistance cessent le combat les uns après les autres le 31 mai. À Haubourdin, même si la bataille était stoppée, les Allemands n'hésitèrent pas à massacrer une partie des prisonniers nord africains.
De nombreux soldats sont faits prisonniers. Mon père et ses camarades, rassemblés en colonnes sur le bord des routes et étroitement surveillés, furent alors mis en marche vers l'Allemagne, traversant la Belgique à pied en direction de Maastricht au Pays-Bas. Là, la population leur témoigna sa sympathie en jetant de la nourriture, du pain de leur fenêtres, des gestes auxquels les allemands répondaient par des tirs en leur direction! Enfin, atteignant l'Allemagne, ils embarquèrent dans des wagons à bestiaux jusqu'à 800kms à l'Est près de la frontière polonaise. Parvenus à Fürstenberg, ils furent transférés au Stalag III B. Mon père ignorait alors qu'à tout juste cent kilomètres de là, dans un autre stalag, le frère de sa fiancée, allait mourir d'épuisement, un mois plus tard.
Mon père ne resta pas au camp, mais partit en kommando de travail dans une ferme aux environs. Les conditions de vie et de logement variant d’un kommando à l’autre, celui où il travaillait permettait de vivre dans des conditions relativement supportables : le travail était dur, mais avec un sentiment de vie presque normale à travailler aux champs même si les gardes ne sont pas loin et à ce qu'il en disait un respect de la part de la famille paysanne sans doute compréhensive du fait que leurs fils étaient partis au front, ainsi qu'au partage des repas qui apportaient un semblant de vie ordinaire. Cela n'empêchait pas mon père et ses compagnons de ralentir la cadence s'ils le pouvaient dans une sorte de résistance passive. Mais l'attente de la libération fut longue même si quelques infos sur l'avancée des russes filtraient.
Après la chute de Berlin en avril, les russes libéraient de nombreux prisonniers dont ceux du Stalag III B. Les longues files de prisonniers furent emmenées jusqu'en Russie exposés à la population, donnant l'image de la grandeur de leur pays, les ayant soustraits des mains de leurs ennemis! Cela dura presque trois mois. Après l'annonce de la signature de la capitulation des allemands, les prisonniers ignorent encore que leur libération par les russes n'aura lieu qu'un mois plus tard le 6 juin 1945.
Mon père et ses camarades, enfin soulagés, sont transportés jusqu'à Reims au Centre de démobilisation dont ils dépendent où ils parviennent le 9 juin. Quelques jours plus tard, ils en repartent pour rejoindre chacun leur caserne de recrutement.
Mon père, lui, y arrive le 13 juin et y subit divers examens, puis on lui procure des soins dentaires qui révèlent de nombreuses carences subies pendant sa captivité. Sa démobilisation aura lieu le lendemain.
Pendant plusieurs années il devra encore déclarer au service de recrutement ses charges de famille et ce jusqu'en 1957 où il est à ce moment inscrit sur la liste des réservistes de la plus ancienne classe.
Les traces de cette guerre qui l'éloigna de chez lui pendant presque 8 ans sont restés profondes chez lui bien qu'il ne nous en ai jamais parlées. Il fallut attendre presque cinquante années pour qu'il se décide à le faire ... mais pas à ses enfants!
NB Pour agrandir les images "clic droit" puis "afficher l'image"
Pour ceux qui seraient intéressés de voir des photos concernant ce régiment et ou des photos des prisonniers en Allemagne, cliquez sur cette page Photos . Notez que je n'ai aucune indication sur celles-ci à part le peu que j'en ai écrit ici.
Renvois :
1Le depôt de Reims : La caserne fut construite au milieu des champs en 1883 , entraînant la création de tout un quartier. Ses premiers occupants furent ceux du 132ème R.I.
Pendant la guerre 1914-1918 elle devient le centre de gestion des subsistances militaires. En Avril 1930, le 106ème Régiment d'Infanterie prend ses quartiers à Reims.
2https://fr.wikipedia.org/wiki/12e_division_d%27infanterie_(France)#Seconde_Guerre_mondiale . Elle comprend les unités suivantes :
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106e RIM de Châlons-sur-Marne et Reims
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25e RAD équipé en canon de 75 mm
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225e RALD équipé en 155 mm court
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et tous les services (Sapeurs mineurs, télégraphique, compagnie auto de transport, groupe sanitaire divisionnaire, etc.) soit au total environ 26 000 hommes.