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Chapitre 2

 
Novembre 1918
 
Au bord de la Verzée, les conversations des blanchisseuses allaient bon train. D'ordinaire, elles se racontaient les potins du village tout en lavant le linge dans les foyers de fonte abrités sous le lavoir, ou le battant sur les tables de schiste alignées sous le porche ; mais en ce temps de guerre, elles partageaient les nouvelles des hommes au front. Elles parlaient des familles affligées par la disparition de soldats, ou inquiètes pour leurs hommes blessés.
Ce jour-là, pour Clémentine, la nouvelle à partager était l'arrivée d'un petit-enfant, une fille né la veille au soir, le huitième enfant dans la famille de son fils aîné. Un événement qui coïncidait avec un autre plus grand encore : la fin des hostilités qui allait voir le retour des hommes.
Clémentine, elle, avait vu l'un après l'autre rentrer ses fils. D'abord, ce fut Georges, de retour très tôt parce qu'il était chargé de famille puis le retour d'Auguste qui avait été amputé de son avant-bras droit à la suite d'un accident de train en octobre 1914 et qui fut réformé dès juin 1915. Le dernier fils, Édouard, blessé au poignet droit en septembre 1914, puis une nouvelle fois blessé à la main gauche en juin 1918 par un éclat d'obus, était, après une période de convalescence, finalement retourné au Front. Elle était impatiente, de le voir rentrer bientôt même si elle savait celui-ci en sûreté depuis qu'il n'était plus au combat, mais en service à l'intérieur. Pourtant, il ne rentrera qu'en juillet 1919.
Depuis que son époux1 était décédé, à la veille de la guerre, elle continuait à travailler comme blanchisseuse depuis presque 20 ans et sa belle-fille, couturière, devait s'occuper de ses sept enfants dont l'avant-dernier n'avait pas encore deux ans et maintenant un autre qui venait d'arriver qui s'ajoutait à la charge de la famille. Heureusement, son mari Georges avait retrouvé son travail de fendeur d'ardoises, le même que son père avant lui, à la carrière de Bel-Air de Combrée à quelques kilomètres de son domicile au Bourg-d'Iré. Pour le temps de la guerre, à cause de l'absence des hommes engagés sur le Front, de très nombreuses ouvrières avaient été embauchées aux ardoisières, ce qui fut accueilli par les moqueries et les plaisanteries de la part des ouvriers restés aux ateliers2. Pourtant le travail de ces femmes se révéla très efficace. Georges, lui, dut s'adapter à la presse à fendre inventée pour l'occasion, qui remplaça la technique traditionnelle qui consistait à serrer l'ardoise entre les jambes guêtrées du fendeur, un travail exécuté le dos courbé à longueur de journée. Cette nouvelle méthode qui augmenta la rentabilité restera en place par la suite. Mais bientôt, à leur retour au pays, les hommes reprendront leur place et les femmes seront renvoyées chez elle.
Des fendeurs d'ardoises avec guêtres et sabots
 
Ce 11 novembre 1918, au Bourg-d'Iré, c'était de l'inquiétude que manifestaient les villageoises qui étaient sans nouvelles de leurs soldats et de l'attente impatiente pour les autres. D'autres portaient encore le deuil du mari ou du fils tombé au combat. 53 soldats de ce village avaient disparu pendant cette guerre.
Et maintenant, une page se tournait mais qui ne pouvait pas faire oublier ces années noires.
 
Depuis longtemps déjà, la vie était bien difficile pour tous les foyers qui subissaient les privations et cherchaient par tous les moyens à subvenir aux besoins vitaux de leurs familles.
Clémentine, elle, se préoccupait de la situation de son fils Auguste qui ne pouvait guère travailler, handicapé par son amputation. Sa belle-fille, Aline, ne trouvait plus pendant toutes ses années de travaux de coutures à effectuer, sauf en rapiéçages ou raccommodages; tissu et laine aussi étaient rationnés. Elle, qui avait eu, par ailleurs, fort à faire avec sa grande famille, était fatiguée par les derniers mois de sa huitième grossesse. L'étroitesse et l'insalubrité de leur habitation tellement sombre compliquait aussi bien des choses. Pourtant, la famille attendait avec impatience l'attribution par la direction des ardoisières d'un logement ouvrier plus grand et salubre, et plus proche du travail de Georges. Les enfants, même s'ils aidaient à quelques tâches n'étaient pas encore en âge de trouver un travail. L'aîné, pour l'instant, à onze ans tout juste, ne pourra pas encore quitter l'école et devra s'y rendre pendant une année encore. Il sera, alors, encouragé à suivre la voie de son père. Une lueur d'espoir vers une nouvelle vie pour la famille qui espérait bénéficier d'un revenu supplémentaire et d'un logement au coût modéré.
Mais, pour Auguste, le frère de Georges, l'espoir n'est guère de mise, d'autant plus que son caractère le portait souvent à commettre quelque larcin. Quelques années plus tard, il suivra son frère Édouard au moment où ce dernier s'installera à Angers et épousera sa cousine. Malheureusement, Auguste, lui, ne pourra faire que des petits boulots et deviendra chiffonnier ou marchand forain et en arrivera même à voler encore pour se nourrir.
Les blessures de la guerre qu'elles soient morales ou physiques marqueront ces hommes à jamais.
Le Bourg d'Iré avant la guerre
Collection personnelle
 

 

 

1 L'époux de Clémentine est Michel le plus jeune fils de Louis-François qui a été le sujet de quatre de mes RDVAncestral

2 Source : livre de  André Neau "Et le tocsin sonna"

 

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Tag(s) : #RMNA, #Généalogie paternelle, #Guerres
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