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Chapitre 3

 

Début des années 1920

 

La vie avait déjà repris un cours quasiment normal pour Joseph et ses frères étaient enfin rentrés dans leur famille. Cependant ses problèmes respiratoires ne s'amélioraient que très doucement depuis son évacuation du Front en 1917. Le curé Basile Chevalier avait été heureux de l'accueillir à nouveau et il retrouvait sa place dans la communauté villageoise. Les voisins avaient été heureux de revoir la famille, les enfants qui avaient grandi et le plus petit qu'ils ne connaissaient pas. Les élèves ne connaissaient pas encore leur nouveau maître qu'ils craignaient déjà un peu pour avoir entendu leurs parents parler de sa fermeté et son exigence qu'il avait apprise lui-même de ses maîtres.

Sa modeste rémunération ne permettait pas des conditions de vie faciles. Il s'en plaignit un jour à l'évêque qui rendait visite aux paroissiens. Il reçut pour toute réponse : «Ah! Mon bon Monsieur, vous aurez une belle place au Ciel.» Joseph, qui avait les pieds sur terre et pensait d'abord à faire vivre sa grande famille, en fut légèrement agacé. Un cinquième enfant était né l'année d'après son retour à Noyant, puis deux autres dans les quatre années qui ont suivi. La foi et les prières pouvaient-elle nourrir sept enfants?

Sans doute ces faibles revenus étaient à l'origine de sa demande sollicitant le droit de bénéficier du statut de pupilles de la nation pour sa fille née en 1917 et la suivante née trois mois après l'arrêt des hostilités, en raison de ses «maladies contractées au cours des opérations, dans l'incapacité de pourvoir à ses obligations et charges de chef de famille». Par ailleurs, Joseph bénéficiait d'un logement de fonction qui appartenait à Pierre de Candé, châtelain du village. En ces premières années de la nouvelle décennie qui suivait la guerre, ils étaient donc neuf «dans une petite maison de trois pièces : une cuisine de vingt mètres carrés, une petite chambre occupée par deux lits, une plus grande avec trois lits laissant un peu d’espace pour une couchette provisoire» puis «une cabane au fond du jardin et un appentis servant de cave, de buanderie.»1 La châtelaine leur rendait visite régulièrement et leur apportait vêtements, jeux, livres ou nourriture en guise d’œuvre charitable. Ce châtelain était, par ailleurs, à ce moment-là, le maire de la commune et sa famille était liée à la gestion de cette école confessionnelle qu'elle avait contribué à établir dans le courant du XIXè siècle.2
Collection personnelle
Mathilde, elle, avait fort à faire avec ses sept enfants bien qu'elle fut beaucoup aidée par ses aînées qui s'occupaient fort bien des plus petits. Elle était experte en bons petits plats; malgré le manque de nourriture parfois, elle savait accommoder restes et tout ce qu'elle avait sous la main. Les jours de fête, elle révélait ses talents de cuisinière en préparant ses bouchées à la reine à base de poule au pot et de champignons accompagnés de sauce béchamel dans des vol-au-vent faits maison ou bien régalait les convives de choux à la crème qu'elle préparait par elle-même!
Elle confectionnait les conserves ou les pots de confiture qui s'ajouteraient aux soupes de légumes et bouillons, l'hiver.
Pendant ce temps, les enfants pouvaient courir dans le jardin ou le parc du château qui restait ouvert où ils pouvaient jouer pendant l’été et se promener en automne dans le petit bois attenant à la recherche de champignons, de châtaignes, ou bien encore patauger dans les fossés jouant à suivre les petits morceaux de bois lancés au fil de l'eau.
A la veillée, alors que la maisonnée s'endormait, Mathilde lisait ou tricotait «des mètres de lainage pour ses enfants», tandis que Joseph corrigeait les cahiers de ses élèves.
 
Leur vie simple et cependant heureuse faisait oublier les dures années de la guerre; si les parents ne faisaient jamais preuve de grandes effusions des sentiments, on y sentait, malgré tout, une atmosphère pleine de tendresse et de joie où les plus jeunes grandissaient sous le regard particulièrement bienveillant des deux aînées. Et pourtant à la fin de cette décennie, elles seront les premières à quitter la maison; l'aînée ayant choisi la vie religieuse ne reverra sa famille que trente années plus tard sans même avoir connu son plus jeune frère qui naîtra un an après son départ.
Pour l'instant, du haut de leur 12 et 14 ans, elles secondaient bien leur maman qui en avait bien besoin parfois, malgré le caractère tranquille des plus jeunes.
Leur père quant à lui, s'occupait, dès qu'il le pouvait, de cultiver le petit jardin attenant à la maison et la famille participait à l'arrosage à la belle saison en roulant la brouette chargée d'une cuve jusqu'à la pompe commune du bourg située non loin de l'école. C'était pour les enfants un plaisir et presqu'un jeu.

Joseph participait activement au groupe local des Anciens combattants mais on ne sait pas s'il osait y évoquer les durs souvenirs de la guerre, lui qui n'en parlaient pas par ailleurs. Cependant, il assista en 1922, avec la population, à la première cérémonie commémorant les 68 soldats du village morts au combat. On imagine qu'à ce moment, il avait aussi une pensée pour ses amis Joseph Hurstel et Eugène Le Gentil3 et d'autres camarades qui avaient disparu durant ces années sombres.

 
  
 

1 Informations issues de la biographie d'un oncle.

2 Cette école d'abord mixte a dû trouvé d'autres locaux quand, avec l'augmentation du nombres d'élèves, on a séparé filles et garçons en deux écoles séparées. L'école des garçons a été ouverte en 1910.

3 voir photo de l'article "Mes Poilus"

 

 

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Tag(s) : #Généalogie maternelle, #Guerres, #RMNA
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